J'ai appris à 28 ans que j'étais née grâce au don d'ovocytes
Découvrir à 28 ans qu’on est née grâce à un don d’ovocytes, ce n’est pas rien. D’abord, on se pose des tonnes de questions « techniques » :
Comment ça fonctionne un don d’ovocytes ? Est-ce que ma mère, qui m’a portée 9 mois, m’a quand même légué quelque chose sur le plan génétique ? Comment j’ai été « fabriquée » ? Une fois les premières réponses trouvées, ce sont des questions beaucoup moins simples qui surgissent : Qui est cette donneuse qui a fait don de ces ovocytes pour que je naisse ?
Comment savoir si je partage de l’ADN avec des gens que je connais, que je croise dans la rue… ou avec mon copain ? Pourquoi mes parents m’ont-ils menti toute ma vie ? Est-ce que mes sœurs et moi on partage le même ADN ou est-ce qu’on est… demi-sœurs ? Que dois-je répondre quand le médecin me demande mes antécédents médicaux ? D’où viennent ces traits que je regarde dans le miroir et que je ne reconnais pas ?
De l’histoire de ma mère à la mienne
Juste après la révélation, le plus important pour moi a été de comprendre mes parents. Comment en étaient-ils arrivés à avoir recours à un don, comment ils l’avaient vécu, et surtout pourquoi ils avaient gardé le secret ? J’en ai surtout parlé avec ma mère.
Elle m’a raconté son histoire, celle d’une femme qui tombe amoureuse à 15 ans, qui se marie avec le seul homme de sa vie à 22 ans et qui lutte ensuite pendant 15 ans pour avoir un enfant. Surtout, c’est l’histoire d’une femme qui vit avec la culpabilité et la honte de l’infertilité, à une époque où le sujet est encore tabou.
C’est en grande partie pour ça que mes parents ont gardé le secret sur ma conception. Et puis, comme ma mère me l’a dit : « Une fois que tu es arrivée, tous les soucis étaient derrière nous, donc on ne voulait plus en parler. »
L’autre raison de ce silence, c’est que ma mère avait peur qu’un jour je puisse lui dire sous le coup de la colère : « Tu n’es pas ma mère. »
C’est un risque, les enfants savent parfois toucher là où ça fait mal, mais je ne vois pas comment j’aurai pu réellement penser ça un jour, énervée ou pas.
Quelqu’un qui m’a portée 9 mois, qui a souffert un accouchement, qui a pris soin de moi tous les jours de ma vie, qui m’a éduquée, soignée, supportée, rassurée… cette personne ne peut être que ma maman.
Ces discussions ont été précieuses, pour elle comme pour moi. Peu après, elle m’a avoué qu’elle avait senti un poids se lever de ses épaules. Dire que si elle en avait parlé plus tôt, elle n’aurait pas eu à vivre tant de temps avec !
De mon côté, j’ai accepté la situation, et j’étais totalement en paix avec mes parents. Rien n’a changé entre nous et je pense même que la fin du secret nous avait rapprochés.
Toutefois, une question est devenue de plus en plus centrale pour moi : Qui est cette donneuse à qui je dois la moitié de mon patrimoine génétique ? Est-il possible de la retrouver ?
On m’a plusieurs fois demandé pourquoi je voulais connaître son identité et qu’est-ce que ça changerait pour moi. Ce qui est sûr, c’est que je ne cherche rien de similaire à une « mère », et d’ailleurs le terme de « mère biologique » me fait toujours grimacer. Personnellement, je parle toujours de « la donneuse ». Néanmoins, depuis que j’ai appris mon mode de conception, j’ai l’impression qu’un petit vide s’est créé en moi, un flou sur mon identité, que des informations sur la donneuse pourraient m’aider à combler. Après tout, elle m’a tout de même légué 50% de mon patrimoine génétique, ce n’est pas rien !
Ce besoin de chercher l’identité de la donneuse, ma mère ne l’a pas tout de suite compris. Je pense qu’elle n’était pas encore tout à fait rassurée dans sa position de mère. Mais cette histoire n’est pas uniquement la sienne, et j’ai décidé de m’écouter et de partir en quête de mes origines.
La quête des origines
Mais comment la retrouver ?
Au début des années 1990, lorsque j’ai été conçue, les dons de gamètes étaient totalement anonymes et il est impossible pour les parents et les personnes nées de ces dons d’avoir accès à l’identité des donneurs. Heureusement, en 2020, Google a été un précieux allié pour trouver des réponses et surtout des témoignages d’autres personnes qui, comme moi, ont été conçues grâce à des dons de gamètes. Lire leurs histoires, me retrouver dans leurs questionnements et leurs émotions a été d’une grande aide. Je me suis rendu compte que j’étais finalement loin d’être seule. C’est pourquoi aujourd’hui je partage mon expérience, en me disant que peut-être elle aidera d’autres personnes qui en ont besoin. Dans ces témoignages, j’ai découvert l’existence des tests ADN qui permettent, en échange d’un peu de salive, d’en savoir plus sur ses origines géographiques et même de « matcher » avec des personnes avec qui on a de l’ADN en commun.
La question de mes origines géographiques revêt une importance particulière pour moi parce que mon père est né au Portugal et ma mère en Sicile. Cette double identité culturelle a toujours été importante dans ma famille et, depuis que j’avais appris mon mode de conception, j’avais aussi compris que je n’avais pas hérité de l’ADN italien de ma mère, ce qui me chagrinait particulièrement…
J’ai commandé un test, attendu impatiemment les résultats pendant de longues semaines, et un jour j’ai vu s’afficher les résultats sur l’application : Portugal 56%, Italie 34% et France pour le reste. Mais surtout, fait incroyable, la partie italienne de mon ADN est localisée en Sardaigne, tout près de la Sicile de ma maman finalement !
Ce n’est pas la seule surprise qui m’attendait. J’avais « matché » avec quelqu’un. Une personne avec qui je possédais une partie de mon ADN et qui, d’après les probabilités données par l’application, devait être une cousine de la donneuse. Je me suis longuement interrogée sur la manière de la contacter. Qu’allait-elle penser si je lui disais la vérité ? Allait-elle me trouver bizarre ou, pire, aurait-elle peur de moi ? Je lui ai d’abord envoyé un message assez neutre parlant simplement de « recherches généalogiques » pour briser la glace, puis j’ai fini par lui exposer la vérité. Elle a été très compréhensive, mais elle n’a pas pu me renseigner sur l’identité de la donneuse. J’ai aussi senti que cela la gênait d’en parler à ses cousines, ce que je peux comprendre vu l’intimité du sujet.
Je me suis donc lancée dans des recherches à partir des informations que j’avais et de quelques connaissances nouvellement acquises en généalogie. Je me suis finalement retrouvée face à trois noms, trois potentielles donneuses. J’ai décidé de leur envoyer un message en étant parfaitement honnête sur mon identité et sur ma recherche. J’ai pris un maximum de précautions pour bien faire comprendre l’intention de ma démarche et les rassurer sur le fait que je ne cherchais absolument pas une autre mère. Je sais que la donneuse avait fait ce don en pensant rester anonyme toute sa vie, c’est ce qu’on lui avait promis. Est-ce que j’avais le droit d’aller contre ça ? Je me suis souvent posé cette question, mais j’ai réalisé que je ne pouvais pas me sentir coupable de briser cet accord. Après tout, il avait été passé avant ma naissance, sans que je puisse jamais donner mon avis, comme si cela ne me concernait pas. Alors que 50% de mon patrimoine génétique, cela me concerne un peu, non ?
De longs mois ont passé sans qu’on me réponde, le temps de me faire tout un tas de films. J’étais persuadée que la donneuse avait eu peur en voyant mon message, s’imaginait que j’étais une folle qui cherchait à s’immiscer dans sa famille pour lui voler son héritage…
Et puis, un jour, l’une d’entre elles m’a répondu. Elle avait pris un peu de temps pour digérer cette nouvelle, décider si elle devait me répondre ou non… et finalement elle a compris que j’avais droit à certaines réponses. C’est un des souvenirs les plus joyeux de ma vie. J’ai eu le sentiment d’être arrivée au bout de ma quête, d’être enfin complète. Elle a répondu à mes questions, m’a raconté les circonstances dans lesquelles elle a fait ce don, m’a même envoyé quelques photos. Cela m’a permis de rendre l’histoire de ma conception plus humaine et de faire disparaître tout le mensonge qui l’entourait comme une chose honteuse. La gentillesse avec laquelle la donneuse m’a parlé m’a fait énormément de bien, je n’avais plus le sentiment d’être une fauteuse de trouble. Ma quête était légitime.
Même si nos échanges ont été assez succincts et que j’ai compris qu’elle ne désirait pas me connaître davantage, je sais aujourd’hui que la porte est entrouverte et que je pourrai poser d’autres questions si j’en ressens le besoin. De la même manière, je lui répondrai si elle le désire un jour.